Lettre adressée au commissaire enquêteur en 2015, pour sauver l'île Seguin du projet dit "R4" sur la pointe amont.

Projet dit "R4" en 2015 sur la pointe amont de l'Ile Seguin

Lettre recommandée avec accusé de réception à


Monsieur le Commissaire enquêteur Déclaration de projet relative à la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme (PLU) de Boulogne-Billancourt pour permettre une opération d'aménagement sur la pointe amont de l'Ile Séguin Mairie de Boulogne-Billancourt 26, avenue André Morizet 92104 BOULOGNE-BILLANCOURT cedex


Meudon, le 14 octobre 2015


Monsieur le Commissaire enquêteur,


L'aménagement de la pointe amont de l'Ile Séguin s'inscrit dans l'ensemble de l'aménagement de l'Ile maintenant occupée, sur sa pointe aval, par la Cité musicale du département des Hauts-de-Seine.


Cette évidence doit être rappelée car le dossier aujourd'hui soumis à enquête publique semble parfois oublier que l'île forme un tout indissociable du fleuve, de ses berges comme des collines boisées environnantes et des habitants.


De plus, comme le souligne le rapport de présentation du plan local d'urbanisme — pièce n° 2 (page 84), l'île « s'inscrit dans l'un des plus beaux méandres de la Seine. Elle occupe une position privilégiée dans un ensemble d'une richesse exceptionnelle. Les multiples composantes du paysage se font écho en ce site : les parcs, les coteaux boisés, la Seine, ses rives et enfin les différentes îles. ».


«La rive sud de l'île Seguin s'ouvre sur un paysage marqué par une forte présence végétale, constitué des coteaux de Sèvres et de Meudon... de multiples jardins ainsi que la présence en surplomb du parc de Brimborion et de celui des Tybilles... Ils viennent offrir un paysage exceptionnel dans la région parisienne. Ces coteaux constituent un arrière-plan végétal pour l'Ile Seguin, fond de scène très contrasté par rapport au paysage horizontal et urbain de la rive droite. »


Actuellement, cette beauté se découvre depuis les berges comme depuis le fleuve ou les collines et cet aperçu séduisant n'a besoin que d'une chose pour continuer à se révéler : une vue dégagée — condition nécessaire mais dont le projet d'aménagement de la pointe amont risque de priver l'île en créant un premier plan masquant l'arrière-plan décrit ci-dessus.


En effet, si d'aventure venaient s'amonceler sur la pointe amont de l'île une collection de containers disparates en un empilement pas tout à fait digne d'Arman, il deviendrait
définitivement impossible d'apercevoir la boucle de la Seine auréolée de ses collines verdoyantes ; le geste architectural fort que constituera bientôt la résille du dôme de la Cité musicale surmonté de sa voile serait masqué par le bric-à-brac de la pointe amont tel qu'actuellement envisagé (illustrations des pages 13,14 et 15 de la déclaration de projet de mai 2015).


Au-delà de l'aspect visuel, essentiel pour un paysage protégé et qui mérite d'être respecté par tous, il convient, en outre, comme le mentionne l'avis de l'autorité environnementale, à savoir le préfet des Hauts-de-Seine, rendu le 20 août 2015, de vérifier que l'élaboration du projet d'aménagement de la pointe amont intègre l'environnement dans la mesure où ce projet serait susceptible d'avoir des incidences importantes sur son environnement (page 1).


A cette fin, les incidences environnementales doivent être recensées afin d'imaginer « toutes les alternatives et mesures envisageables pour éviter, réduire et compenser les incidences négatives sur l'environnement ainsi que les mesures de suivi proposées ». (Avis de l'autorité environnementale, page 2).


Il y a là un vrai risque par rapport à l'état initial car, par exemple, « des campagnes de mesure de la qualité de l'air et de l'ambiance acoustique du site ont été réalisées et montrent que la situation particulière de l'île en font un milieu relativement préservé au sein de la petite couronne parisienne » (page 5).


L'autorité environnementale pose bien que la première priorité consiste à éviter les incidences négatives, ce à quoi le Commissaire enquêteur peut contribuer mieux que personne.


Pour cela, l'autorité environnementale prescrit (page 5) de :


« tendre vers le zéro rejet d'eaux pluviales » dans la Seine, à l'opposé d'une approche « tout à l'égout » ;

respecter « les besoins de restauration des milieux naturels», qu'il s'agisse des friches écologiques — et non plus industrielles — sur l'île et les berges ou de la trame verte et bleue incluant le corridor écologique constitué par la Seine ;

et donc attendre les orientations du SRCE en cours d'élaboration qui primeront sur les objectifs de densification du SDRIF ;

- approfondir les études sur le grand paysage car « le PLU doit prendre en compte le paysage vu des communes limitrophes et notamment des coteaux opposés aux rives de Boulogne-Billancourt » ;

- présenter explicitement les perspectives d'évolution tendancielle de l'environnement ; se rappeler que « les incidences positives comme négatives doivent faire l'objet de démonstrations plus approfondies sur la base des éléments mis en avant par l'état initial... Les mesures envisagées doivent être détaillées » ;

- réaliser « une projection de l'insertion future de l'île, illustrée et analysée du point de vue du paysage existant, tant depuis la rive droite que depuis les coteaux » car l'affirmation que la modification du plan est susceptible d'avoir « une incidence positive sur le paysage » « ne constitue pas une analyse des incidences... ni la démonstration que ces incidences seront positives.

D'autant que le dossier indique que « les modifications de hauteurs impacteront les co-visibilités, sans développer davantage ».

L'autorité environnementale relève aussi (page 7) que :
- la suppression de la zone NDb sur les berges mériterait d'être davantage justifiée car cette zone ne pourra être urbanisée en raison des engagements pris dans le cadre du dossier loi sur l'eau ;
- pour la trame verte et bleue, le remplacement des zones NDd et Ndb par la nouvelles zone UCf (pointe amont de l'île) mériterait d'être développé afin de garantir la restauration de continuités écologiques car la page 79 de l'évaluation environnementale présente une analyse trop succincte ne s'appuyant pas véritablement sur l'état initial ;
- pour le paysage, les modifications envisagées « ne permettent pas de s'assurer de l'insertion paysagère de l'île dans la boucle de la Seine ». A cet égard, la description de l'état initial et l'analyse des incidences devraient être approfondies ;
- quant à la desserte et aux nuisances. « l'impact de la densiôcation de l'île sur la circulation routière (notamment sur la RD 1 à Boulogne et la RD 7 à Meudon) n'est pas évalué avec précision » ; « les incidences sur les émissions de polluants et les nuisances sonores ne sont pas appréhendées ».

En conclusion de son avis (page 8), « l'autorité environnementale recommande d'approfondir l'analyse des incidences sur l'environnement, notamment en ce qui concerne la restauration des continuités écologiques, l'impact sur le paysage depuis les communes limitrophes et les nuisances engendrées parle trafic automobile ».

Justement, tout un chacun, en examinant ces incidences, ne peut qu'émettre les plus vives réserves sur la pertinence de considérer tantôt la pointe aval de l'île, tantôt sa partie centrale et, enfin, sa pointe amont pour un projet aussi emblématique aux portes de la capitale de la France. Les incidences négatives de l'aménagement de chacune des parties de l'île ne risquentelles pas de s'additionner plutôt que de s'annuler mutuellement ?

L'ampleur du nouveau projet, de ses denses volumes architecturaux accumulés sur la pointe amont (de lourds bâtiments entremêlés, à angles aigus, contrastant avec la pureté des courbes des collines, la boucle de la Seine et le profil incurvé des rives ; des masses culminant à plus de 50 mètres de hauteur posées sur un socle déjà élevé, soit, en réalité 91 mètres NGF (schéma de la page 22 de la déclaration de projet de mai 2015), compromettrait largement les perspectives depuis et sur le fleuve, ses berges, les coteaux de Meudon, de Sèvres et de SaintCloud.

Face à ces réalités, l'étude d'impact jointe au projet semble insuffisante car elle ne s'inscrit pas dans l'évaluation environnementale globale qui manque toujours à l'aménagement d'ensemble de l'Ile Séguin ; une étude environnementale partielle et à approfondir risque de laisser survenir l'irrémédiable.

En outre, la conception de l'aménagement de l'Ile Seguin dépasse l'intérêt communal ou intercommunal - même en y incluant la ville de Paris - ou encore départemental mais apparaît davantage comme d'échelon régional voire national puisque l'île est située en lisière de la capitale.

Les remarques émises lors des précédentes enquêtes d'utilité publique sur la densifîcation excessive de l'île, sur la nécessité d'en respecter à la fois le caractère, la faune et la flore ainsi que les protections attachées aux sites et monuments l'environnant, l'importance des flux migratoires quotidiens assortie de l'insuffisance des infrastructures de transport en commun, les atteintes à la qualité de l'eau du fleuve, les nuisances sonores, l'absence de concertation préalable avec l'ensemble des riverains demeurent valables pour l'aménagement de la pointe amont.

La phraséologie emphatique de nombreux passages des documents soumis à l'enquête publique ne parvient pas à masquer les lacunes évidentes du projet. Ainsi, après les excellentes quatrevingt-dix premières pages du rapport de présentation du plan local d'urbanisme — pièce n° 2), une soudaine rupture de ton et de qualité de la réflexion survient confirmant le caractère aventuré, démesuré et disproportionné du projet présenté par rapport à l'intérêt exceptionnel du site dans lequel il devrait s'inscrire avec davantage d'humilité.

Dans le dossier d'un projet d'aménagement urbain aux conséquences définitives, il n'est pas possible d'accepter que soient masqués par des commentaires lyriques l'indigence d'une œuvre comme dans ces catalogues d'exposition d'art vantant, par exemple, tout ce que donne à admirer un : « Carré blanc sur fond blanc ». A l'amont de l'île, il risquerait de n'y avoir plus à contempler que : « Containers en vrac sur sol pollué masquant un paysage arboré ».

Le projet soumis à enquête publique constitue moins un aménagement de la pointe amont de l'île que le déménagement définitif de ses attraits avec l'abandon sur place des caisses géantes renfermant sa beauté disparue.

La friche industrielle devenue friche écologique ne saurait être sacrifiée à la spéculation foncière alors que le besoin d'espaces naturels est patent.

De plus, les expressions floues, pompeuses ou ambiguës employées dans certains documents du dossier d'enquête publique contrastent avec l'absence de photographies, de croquis, de mises en perspective et cela cadre mal avec l'ampleur de l'irrémédiable changement envisagé. En 2015, où sont les images de synthèse juxtaposant, sous plusieurs angles, des vues de l'île et sur l'île dans son environnement avant et après l'aménagement projeté de la pointe amont ?

En l'état, le projet présente non de fortes caractéristiques d'intérêt général mais des caractéristiques marquées de troubles certains et définitifs causés à l'intérêt général.
Alors que la densité de Boulogne-Billancourt est déjà extrêmement élevée, égalant presque celle de Manhattan, serait-il donc prioritaire d'édifier encore une ville sur la ville sur l'Ile Seguin en coulant cette île sous le béton ?

Le rapport de présentation du plan local d'urbanisme souligne que la ville de Boulogne-Billancourt est déjà urbanisée à l'extrême et qu'elle manque à la fois de sites remarquables, d'espaces verts et de « terrains de sport de grands jeux ».

Par ailleurs, de récentes études viennent démontrer que l'influence des espaces verts est très bénéfique pour la santé physique et mentale des habitants et a même une influence sur leur espérance de vie. Cet impact sanitaire ne mériterait-il pas d'être également pris en compte ?

Un tel espace naturel, de verdure et de fraîcheur, est d'ailleurs indispensable pour atténuer les effets sur la santé résultant des vagues de chaleur, en particulier nocturnes, qu'engendreront les changements climatiques inéluctables.

Troubles visuels, troubles sonores, troubles de la circulation urbaine sont garantis par les promoteurs du projet qui soulignent que « des événements à toute heure du jour et de la nuit » témoigneront d'une « activité permanente sur l'Ile Seguin ».

A l'opposé, dans le souci du développement durable et du bien-être des habitants de toute la région de l'Ile-de-France, il conviendrait de retenir pour l'Ile Seguin, au-delà de la pointe aval de l'Ile consacrée à la musique, le principe d'une île sans béton spéculatif et non rectification compacte d'un « laboratoire de mise en œuvre de la densité urbaine ».

Après la parenthèse industrielle des Usines Renault, il conviendrait de revenir à l'ambition première de Louis Renault pour ses ouvriers lorsqu'il fut séduit par le caractère naturel de l'Ile Seguin. La friche écologique qu'est devenue l'Ile Seguin doit être rendue à son site, à ses usagers, à ses riverains, à ses amis, à ses admirateurs en manque de paysages harmonieux, d'air pur, de biodiversité, de potagers, d'espaces verts, de terrains de sport afin de préserver, aux portes de Paris, pour eux-mêmes et les générations futures, le dernier espace libre de la boucle de la Seine.

En vous remerciant pour l'attention que vous voudrez bien porter à la présente contribution à l'enquête publique et de l'écho que vous ne manquerez pas de lui donner, je vous prie de croire, Monsieur le Commissaire enquêteur, à l'expression de notre considération la plus distinguée.

Monsieur le Commissaire enquêteur Déclaration de projet relative à la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme (PLU) de Boulogne-Billancourt pour permettre une opération d'aménagement sur la pointe amont de l'Ile Séguin Mairie de Boulogne-Billancourt 26, avenue André Morizet 92104 BOULOGNE-BILLANCOURT cedex

le Collectif « Vue sur l'Ile Seguin »